C'est peut-être un simple effet d'annonce, mais le Premier ministre a annoncé qu'une loi interdisant la burqa dans les lieux publics serait lancée au printemps. Je ne me pose pas la question de l'opportunité d'une telle loi. En effet, je suis assez peu informé sur le sujet, et c'est une polémique dans laquelle je ne veux pas entrer. Je ne m'étendrai pas non plus sur le fait que cette annonce soit faite à quelques jours des régionales, après un débat assez calamiteux sur l'identité nationale française.
Non, ce que je veux dire aujourd'hui, c'est que je considère cette loi comme un échec avant même son
vote. La tendance très malheureuse du moment, c'est le principe « un fait divers, une loi » qui semble être la seule chose qui dicte la pensée législative actuelle. Toute une série
d'interdictions ont été prises, assorties le plus souvent de sanctions pénales. Je veux parler ici de la loi sur l'inceste, la loi sur les violences envers les personnes âgées, et également la
création de l'infraction d'appartenance à une bande. Le 9 mars dernier, les personnels du monde de la justice étaient dans la rue. Que ce soit magistrats, avocats ou fonctionnaires de
l'administration pénitentiaire, ils protestaient contre beaucoup de choses, mais une revendication qu'ils avaient en commun était le fait que les lois se faisaient sans recul, sans vision. Le
professeur Carbonnier, qui était un très grand juriste, nous disait la chose suivante : une loi ne peut pas prévoir les effets qu'elle va engendrer. Si par exemple on interdit le divorce, on
pense que les couples resteront plus ensemble. C'est peut-être pour permettre aux enfants d'avoir une image des deux parents au foyer qu'on le ferait. Un des effets pervers en serait alors la
hausse des violences conjugales et sur les enfants, car on maintiendrait une situation compliquée pour les familles. C'est pour cela qu'il existe ce que l'on appelle des études d'impact, c'est à
dire des études qui sont menées pour essayer de prévoir au mieux les conséquences d'une législation. On essaie de faire une étude de risque, et de prévenir les effets pervers. On essaie également
de mettre en place un système lisible. Quand le nouveau Code pénal a été mis en place en 1992, le but était d'arrêter les frais avec l'ancien code qui était devenu particulièrement lourdingue. En
effet, il multipliait les causes d'exonération, les circonstances aggravantes, les renvois à des notions imprécises ou nébuleuses, en bref il ressemblait à Elvis à sa mort : bouffi, obèse et
incompréhensible parce qu'il avait trop vécu. On en a alors fait un tout neuf, plus carré, plus jeune et mieux conçu. La machine a maintenant des ratés, et le plus si nouveau Code montre des
signes de fatigue.
La simplification n'est plus à la mode, et le temps de réflexion non plus. « Grâce » à une fiscalité particulièrement lourde sur le tabac, dans le soit-disant objectif de santé publique, on en a fait un trafic particulièrement lucratif, ce qui a structuré la délinquance de contrebande. Elle s'est armée, organisée, et elle n'a plus rien à envier au trafic de drogue, puisque ce sont les mêmes acteurs qui s'en occupent.
En ce qui concerne la loi sur la burqa, je ne vois pas le risque de voir se multiplier les voiles intégraux. J'y vois l'échec de notre société. Parce que l'on passe maintenant sur le terrain du droit, toute discussion ou échange avec l'autre sont désormais gelés. Il n'y a plus aucune possibilité de dialogue, puisque c'est interdit, donc quand une infirmière verra une femme voilée à l'hôpital, c'est la police qui s'en chargera si la loi est appliquée. Autant pour notre modèle d'intégration ... Comment peut-on vouloir que les étrangers s'intègrent en France si on n'essaie pas non plus de faire un pas vers l'autre, de faire preuve d'au moins un minimum d'ouverture d'esprit pour combler l'écart culturel qui peut parfois être immense entre notre culture et certaines cultures qui nous sont éloignées ? Je peux dire que j'espère que la loi si elle est votée sera appliquée. Pourquoi ? Et bien je pense que si elle venait à ne pas être appliquée, on aurait eu un message de refus seulement. On aura créé une polémique, une tension, un message qui ne sera pas relayé. On appelle ça jeter de l'huile sur le feu, et prévenir les pompiers que le feu a déjà consumé plusieurs maisons, mais qu'on l'avait fait pour l'éteindre.
Je trouve ça minable, irresponsable, et je ne me sens pas fier de mon pays.