Voici venir le deuxième épisode des chroniques de la procédure pénale. Après l'enquête, nous en sommes maintenant à la phase de la poursuite.
Avant tout, il faut signaler que l'acteur primordial à ce stade est le procureur de la République. Le Code de procédure pénale lui confie en effet la plus importante de ses prérogatives, l'opportunité des poursuites. Mais je m'avance un peu.
A ce stade, notre enquête est terminée. Quel que soit son résultat, on considère qu'on ne peut aller plus loin dans la recherche des preuves. Le procureur se retrouve alors face à un choix. Poursuivre ou ne pas poursuivre, telle est la question, et tel Hamlet, son choix peut se révéler lourd de conséquences.
On a souvent tendance à penser que le procureur ne dispose que du choix entre classer sans suite, ou
poursuivre le suspect devant un tribunal. C'était vrai mais avec cette conception on est maintenant plus dans l'histoire du droit. En effet, le procureur, pour des raisons qui lui sont propres
mais qu'il doit signifier à la victime éventuelle, peut classer l'affaire sans suite. Cette décision porte bien son nom : l'affaire est abandonnée, purement et simplement. Les causes peuvent être
multiples, allant du manque évident de preuves contre une personne, à des faits sans aucun lien avec une infraction pénale (comme chanter, même très mal, sous sa douche), en passant par une
raison moins glorieuse tenant au faible budget qui lui est alloué par l'Etat, ce qui le pousse à faire des choix. Au passage, on a bon dos d'accuser la justice de mal faire son boulot quand on ne
lui donne pas les moyens de le faire : la France n'est pas un exemple dans cette matière.
Que faire dans ce cas quand on est victime d'une infraction et des coupes budgétaires de l'Etat ? Et bien il reste la possibilité pour la victime de déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction, ce qui aura pour effet d'obliger le procureur à mettre en marche la machine judiciaire (et celui de vous priver d'une somme d'argent proportionnelle à vos revenus si cette plainte est jugée abusive).
Le procureur peut également décider que les faits, même établis avec suffisamment de preuves, ne nécessitent pas de passer devant une juridiction. Par exemple, si on prend l'un d'entre vous qui a trop abusé du Pernaud et qui craint pour sa sécurité, on peut imaginer que vous ayez acheté une bombe lacrymogène en Espagne. Seulement, n'étant pas expert en la matière, vous en avez acheté une qui est classé dans la catégorie très hétérogène des armes blanches et donc vous rendre coupable d'un délit de port d'arme de sixième catégorie, punissable quand même de cinq années d'emprisonnement. Le procureur n'est pas bête, il voit bien que vous ne vouliez pas vous en servir pour molester des jeunes UMP en sortie de lipdub. Il va donc pouvoir mettre en place ce que l'on appelle une mesure alternative aux poursuites, c'est à dire qu'il va avoir le choix entre toute une série de mesures allant du simple rappel à la loi (c'est pas bien ça Monsieur/Madame, que je ne vous y reprenne plus, vous me copierez cent fois « nul n'est sensé ignorer la loi ») jusqu'au plaider coupable à la française. De manière générale, il s'agit de mesures peu contraignantes, mais destinées à réparer à l'amiable si on peut dire un trouble à la société peu important ou déjà réparé. Vous avez peint sur le mur du voisin des insanités, mais vous avez nettoyé et il ne vous en veut plus. Tout va bien, tout le monde rentre chez soi.
Bien évidemment, tout ne se résume pas à ça. Dans l'hypothèse où ces mesures ne seraient pas respectées, celles où la loi les interdit, ou que le magistrat en décide autrement, il y aura poursuite devant un tribunal. C'est à ce stade qu'il nous faut parler de détention provisoire. En théorie, on ne peut y placer un suspect que si on ne peut pas faire autrement. Notre Constitution à travers la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 nous l'interdit sans de bonnes raisons. Pendant longtemps, le pouvoir de placer un suspect en détention provisoire était un pouvoir réservé au juge d'instruction, « l'homme le plus puissant de France » selon Balzac. Comme la méfiance envers ce juge ne date pas d'hier, on a délégué ce pouvoir à un juge spécial, le juge de la détention et des libertés (ou JLD) qui se charge entre autres attributions de décider si le placement en détention se justifie. Ca paraît beau sur le papier, mais j'ai déjà entendu des gendarmes peu libertaires en pleine période de sarkozysme surnommer ce JLD juge de la détention, parce que c'est le résultat que donnent presque neuf demandes sur dix.
Donc, on poursuit. Mais devant quel tribunal ? Et bien devant le tribunal de police pour les contraventions, devant le tribunal correctionnel pour les délits, et devant la cour d'assises pour les crimes. Ce qui pousse à ce choix sera le montant de la peine (aussi appelé quantum par les juristes toujours fans du latin de cuisine) encourue pour l'infraction que le procureur a attribué aux faits.
Encore une fois, je me dois de faire un aparté pour vous signaler un phénomène pas toujours très glorieux pour un droit qui se veut strict dans la théorie, mais un phénomène répandu. Certains procureurs choisissent de « correctionaliser » des infractions criminelles, c'est à dire de poursuivre pour un délit alors qu'on est clairement face à un crime. Par exemple, on choisit de poursuivre une personne pour agression sexuelle, qui est un délit (la plupart du temps), plutôt que pour viol qui est un crime (toujours). La différence entre les deux tient à une seule chose, c'est que le viol fait intervenir la notion de pénétration à caractère sexuel (désolé pour les détails, c'est pas moi qui ait créé le crime). Ce choix plutôt douteux pour l'esprit est en fait dicté par un souci d'efficacité. En effet, les cours d'assises sont réputées pour leur soit-disant indulgence, ce qui n'assurerait pas une poursuite réussie à coup sûr. Ca arrange le parquet, qui peut mener son affaire au bout. Ca arrange la victime, qui est plus assurée de voir son agresseur condamné. Ca arrange ledit agresseur, qui encourt une peine moindre, mais le droit n'y est pas gagnant, même si ça n'a rien d'illégal.
On poursuit donc. Cela signifie que le procureur va envoyer le suspect devant le tribunal adéquat. Bien évidemment, s'il y a eu instruction, c'est au juge d'instruction que ce choix va revenir.
A bientôt pour le plus grand fantasme, la phase de jugement !