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Le blog de T-H-A

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Des droits, toujours des droits. Parlons-en !


Un fait divers, deux lois : qui dit mieux ?

Publié par T-H-A sur 29 Octobre 2009, 16:53pm

Catégories : #Mettons les choses au point

          Jusque là, on s'était fait, de plus ou moins bonne grâce, à l'axiome politique suivant : un fait divers entraîne une loi. Tout comme la signalisation routière s'adapte en fonction des drames de la route, les faits de société ont très souvent été l'occasion pour différents gouvernements de mettre en oeuvre leur pouvoir émotionnel à travers une loi minute qui est sensée répondre instantanément à un problème de société. Ainsi en était-il de la loi anti-cagoules votée avant l'été qui aurait pu selon certains éviter l'affaire du gang des barbares.


          L'inflation législative est un fait. Quelque soit le gouvernement, il doit prouver sa légitimité en faisant mieux que son prédécesseur qui n'a pas su gérer les situations conflictuelles et a ainsi causé le fait polémique. La matière pénale est un parfait exemple de matière truffée de lois minutes, mais d'autres domaines comme le droit du travail, le droit des étrangers sans parler des réformes de l'Education nationale qui montrent au commun des mortels que l'exécutif travaille plus pour produire plus.


          Mais le phénomène prend de plus en plus d'ampleur. Alors que l'affaire Outreau avait eu droit à une commission d'enquête parlementaire et l'honneur plutôt douteux de l'avis de la commission Léger, l'affaire Evrard est en train de battre des records. S'il faut vous rafraîchir la mémoire, les faits sont les suivants : le 2 juillet 2007, Francis Evrard sort de prison où il purgeait une peine pour viol sur mineur en étant estampillé «dangereux pédophile pervers susceptible de récidiver». Six semaines après sa sortie de prison, soit le 15 août, il enlève et viole le petit Enis, qui est retrouvé quelques jours plus tard. Suite à ce crime, le ministère de la Justice prépare une loi dite de la rétention de sûreté. Promulguée en février 2008 avec la bénédiction du Conseil constitutionnel, elle permet d'interner des individus « dangereux » à leur sortie de prison indéfiniment tant que l'individu présente une « particulière dangerosité ». A l'époque, elle avait suscité autant de polémiques ou presque que les avis de la commission Léger sur la suppression du juge d'instruction. Elle en suscite toujours parce que personne ne sait ce qu'est la différence entre un individu un peu dangereux, très dangereux ou particulièrement dangereux, et les personnes qui vous diront le contraire ne pratiquent pas la psychiatrie, ou alors il vous faudra les fuir le plus loin possible, à cause de leur particulière dangerosité.

          Une loi pour un fait divers, tout serait normal mais l'arithmétique législative et politique moderne en prend un coup puisqu'il est question d'après le ministère de la Justice et des libertés (je toussote numériquement) de mettre en place une législation concernant le traitement couramment qualifié de castration chimique. Au-delà de l'opportunité d'un tel traitement (je ne suis qu'un humble juriste et peut-être futur avocat si tout va bien), je ne peux m'empêcher d'être choqué.

          Si on ne doit retenir qu'une chose de l'affaire Evrard, c'est qu'elle a montré tous les dysfonctionnements de la justice. Il faut préciser avant toute chose que l'accusé en question n'a pas pu faire l'objet d'une mesure de placement sous bracelet électronique. En effet, alors que c'est la loi du 12 décembre 2005, votée dans l'urgence, qui l'a mis en place, le décret d'application permettant à cette loi de fonctionner n'a été pris que le 25 août 2007, soit dix jours après l'enlèvement et le viol du jeune enfant. De toute façon, elle n'aurait pas pu être appliqué à Francis Evrard. Premier cafouillage que le législateur a corrigé en catimini juste après l'affaire. Et que l'on ne me parle pas de problème dû au changement de gouvernement, car le ministère en charge de cette loi était celui de l'Intérieur, dirigé par un certain Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa. Le deuxième cafouillage a eu lieu à la libération d'Evrard, quand personne ne s'est aperçu qu'il était un prisonnier dangereux qui nécessitait un suivi et un traitement. Faute de moyens et de temps, parce que c'était les vacances, les remplacements au niveau du service d'insertion et de probation ont fait qu'un service déjà surchargé en temps normal a laissé filer un dossier sensible, qui n'aurait pu être traité de toute manière pas avant deux mois en raison du dit manque de moyens financiers et humains.

           Ne nous leurrons pas : le système juridique de suivi des délinquants sexuels est au point. Du suivi socio-judiciaire en passant par les injonctions de soins et les mises à l'épreuve, le droit français dispose d'un arsenal particulièrement fourni et complet de mesures destinées à traiter les délinquants sexuels et à prévenir la récidive. Seulement il faut admettre que la pratique est en contradiction complète avec la loi. Parce que les prisons sont remplies à 40% de détenus souffrant de pathologies mentales plus ou moins graves, chaque détenu peut être suivi par un professionnel pendant vingt minutes toutes les trois semaines, ce qui ne permet même pas de soigner une petite déprime. Il faut des mois en France pour mettre à exécution une peine, parce que les juridictions sont débordées du début à la fin de la procédure pénale. La loi future de la castration chimique est au mieux un nouveau pansement sur une jambe en bois, et une réponse qui me fait penser à la solution apportée au problème des suicides en prison : leur fournir des draps qui cassent plus facilement.


          Tant que des moyens financiers et humains ne seront pas donnés pour mettre en oeuvre une politique pénitentiaire digne de ce nom, les affaires Evrard se reproduiront. Elles auront même tendance à se multiplier si les détenus de droit commun continuent à faire au quotidien des études de criminalité derrière les barreaux.


          Et tant que nous nous contenterons d'accepter des lois minutes qui ne sont destinées qu'à jeter un rideau de fumée devant la réalité de la délinquance en France, elles continueront de masquer le drame de nos prisons.


Le droit est l'ensemble des règles qui régissent la vie en société. Une société n'a que les lois qu'elle mérite.

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