Que faut-il donc comprendre ? Avant tout, le Parlement européen se met en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui entend de façon large la notion de tribunal. Pour elle, toute autorité qui a des pouvoirs de sanction doit présenter les qualités d'impartialité et d'indépendance exigées à l'article 6 de la Convention. Mais il pousse sa conception au-delà en exigeant une décision judiciaire. Si l'état du droit européen reste tel quel, le procureur ne pourrait pas à lui seul prononcer ce genre de sanction, mais cela exigerait une décision d'un tribunal (au sens strict donc, en l'occurrence un tribunal correctionnel).
De là à considérer que le droit d'accès à Internet vient de prendre le caractère de droit fondamental, il n'y a qu'un pas que le Parlement franchit. Cette prise de position est courageuse et va sans doute compromettre gravement les chances de survie du texte. Pour autant, la réputation de la France avant-gardiste dans la protection des droits individuels en prend un coup.
Le recours à une autorité administrative dite indépendante pour gérer l'application de sanctions n'est pas nouveau. La France a créé le concept même d'A.A.I en 1978 avec la loi Informatique et libertés qui a instauré la CNIL (Commission Nationale de l'informatique et des libertés). Depuis leur nombre a explosé : Conseil supérieur de l'audiovisuel, Conseil de la Concurrence, etc. Ce genre d'autorité n'offre pourtant pas les mêmes garanties qu'un tribunal, quoi qu'on en dise, ne serait-ce que parce que leur composition est encore moins contrôlée que celle de l'ordre des magistrats.
Tout cela pour dire que le débat est loin d'être clos concernant cette loi, et que notre pays prend du retard sur la scène internationale, passant du statut d'élève modèle à celui de cancre dans le domaine des libertés ...