Quelques mots sur le verdict tombé aujourd’hui dans l’affaire des tournantes de Fontenay-sous-bois.
Avant tout, si vous avez une âme sensible, ne lisez pas plus loin, cet article va quand même parler de choses crues en matière d’agressions sexuelles. De plus, n’attendez pas de moi un quelconque commentaire moral, il est évident si vous êtes un lecteur assidu que je ne peux que condamner ce genre d’acte. Et oui, bien sûr que si arrivait à moi ou à un de mes proches, je chercherais à me procurer un fusil et des adresses. Si vous lisez ceci, n’en doutez pas.
Mais on ne parle pas de vengeance, on parle de justice.
En quelques mots, d’après une petite revue de presse rapide, voilà ce que j’ai pu collecter comme informations.
Deux jeunes filles se présentent comme des victimes de viols en réunion, des « tournantes » comme on les appelle. Selon elles, les faits se seraient commis en 1999 et 2001. Je n’ai pas réussi à trouver quand ou comment la justice a été saisie, mais apparemment au moins une d’entre elles n’a pas porté plainte, ce qui comme vous le savez n’est pas obligatoire pour que des poursuites s’engagent, heureusement sinon on ne poursuivrait plus les fraudes fiscales.
Et là, problème. On se situe en 1999 et 2001. Il ne faut jamais, jamais, jamais oublier de placer les faits dans le contexte de l’époque. En 1998 sous le gouvernement Jospin venait juste de passer une loi renforçant les possibilités de poursuite et de repérage des infractions sexuelles, notamment en ce qui concerne la protection des mineurs (au passage, autant pour la droite qui a soi-disant le monopole en matière de sécurité). Tout ça pour vous dire que si vous croyez qu’en 1999 le système était opérationnel, vous êtes au pays des Bisounours, passez l’arc-en-ciel et retournez directement au Texas. Une loi ça demande : des décrets d’application pour la préciser, et des circulaires pour permettre à tout le monde de comprendre. Donc comptez au moins un an ou deux pour que ça marche.
Cette loi est intervenue pour une raison très simple : les victimes d’agressions sexuelles (on reviendra après sur la notion de viol, si vous tenez pas le coup, fermez cette page et allez faire quelque chose de joyeux), les victimes d’agression donc sont particulièrement choquées, et elles ne veulent souvent qu’une chose : oublier. De suite, et pas dans trois jours. Et le problème c’est que pour qu’une procédure tienne la route, il faut qu’elles se rendent immédiatement à l’hôpital pour faire constater les blessures par un médecin légiste, qui ne fait pas que les autopsies mais constate légalement les violences subies.
Et ça ne rate pas, c’est beaucoup trop rare que ça se passe comme ça. Parce que la réaction normale n’est pas de passer sur une table de gynéco après ça (allez-vous en et fermez cette page encore une fois si vous êtes choqués à ce point de l’article).
D’où la loi de 1998. Elle visait à non seulement permettre aux victimes mineures de pouvoir porter plainte jusqu’à dix ans après leur majorité, mais également à sensibiliser
les autorités sur le recueil des plaintes. Elle a mis en place le suivi socio-judiciaire pour que les personnes qui sortent de prison après de tels crimes soient suivies, et qu'elles ne
recommencent pas. C'est une loi fondatrice sur la poursuite des infractions sexuelles. N'oubliez jamais que la législation contient tout ce qu'il faut pour poursuivre. Encore faut-il qu'on ait
des gens qui les entament, à bon entendeur...
N’oubliez pas que les faits dont nous parlons se sont passés en 1999. A cette époque, le balancier de la législation est en train de retomber vers la répression, après les affaires Dutroux notamment. Mais on en est au début de la sensibilisation.
Maintenant replaçons nous du côté des forces de police. Elles ont vraisemblablement été averties par une plainte, puisqu’apparemment une plainte a été classée sans suite en 2001. Elles ont donc vu débarquer une des jeunes filles, qui se plaignait de faits s’étant passés quelques temps avant (1999, 2001 ? personne ne le dit parmi la presse soucieuse avant tout de vous choquer mais pas de vous informer). Aucun constat matériel. Pas autre chose que le témoignage de deux jeunes filles.
A ce stade, vu l’horreur de la chose, je pense que les services de police diligentent une enquête malgré la minceur du dossier
Nouveau problème : comment entamer une enquête là-dessus ? Les témoins hésitent toujours, ils se trompent, et d’autant plus quand ils sont victimes de violences sexuelles. Quand on subit ça, on ne passe pas son temps à mémoriser ce qui se passe, on essaie de s’évader pour ne pas être confronté à l’inacceptable. Il n’y a pas de pire témoin qu’une victime, car elle a en plus l’esprit pollué : se rappeler c’est souffrir, et donc on ne peut pas le faire sans effort douloureux.
Et donc voilà ce qu’il faut se rappeler : qui, quand, comment, combien de fois. Qui m’a fait ci, qui m’a fait ça, combien de fois, et qui c’était. Je vous évite le nombre de récits de témoins qui jurent avoir vu quelqu’un faire quelque chose alors que la personne ne pouvait objectivement pas être là, preuves à l’appui. Et je vous passe également le nombre de récits où l’agresseur d’une victime fait entre un mètre soixante et deux mètres dix, entre 60 et 150 kilos. La mémoire est ainsi faite qu’elle efface le souvenir traumatisant, du mieux qu’elle peut.
Donc voilà l’affaire devant les tribunaux. Je ne sais pas ce que contient le dossier, je ne peux faire que faire des hypothèses. Arrêtez de lire, ça va être dégueu. Il faut savoir que la différence entre un viol, punissable de 15 de réclusion criminelle (plus en cas de circonstances aggravantes), et une agression sexuelle, c’est la pénétration. Oui je vous avais prévenu de vous barrer déjà trois ou quatre fois !
Et donc, sans constat médical immédiat, au bout d’un moment le corps guérit. Reste donc l’agression sexuelle, parce qu’on ne peut pas prouver la pénétration, pas deux ou trois ans après les faits.
Et là on tombe dans le délictuel : 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. Je rappelle que c’est un maximum.
Et donc, avec tout ça, on arrive à la conclusion : les infractions sont-elles constituées, c'est-à-dire que tous les éléments sont-ils réunis pour que l’on considère que les personnes ont commis ces actes ?
Pour le viol, non semble-t-il pour des raisons de preuve.
Pour les agressions sexuelles probablement.
Qui est condamné ? C’est-à-dire de qui est-on sûr qu’il a participé à l’acte ? Attention, c’est vous qui décidez, vous êtes jurés, vous décidez de qui va en prison ou pas. Dans le doute, vous devez acquitter : le doute profite à l’accusé. Donc vous ne prononcez de culpabilité que pour ce dont vous êtes sûrs.
Et maintenant, n’oubliez pas que les auteurs étaient vraisemblablement mineurs au moment des faits, et donc qu’ils bénéficient selon leur âge d’un plafonnement des peines jusqu’à la moitié.
Donc, avec un dossier potentiellement vide, qui condamnerait des gens sans être sûr ? Je vous rappelle que c’est vous qui décidez, vous qui allez signer la condamnation de quelqu’un. Quelqu’un de probablement très antipathique (la ligne de défense consistant à les traiter de putes me semble bien étrange), mais un être humain que vous allez envoyer ou non en prison. Vous n’êtes même pas sûr que les personnes en face de vous étaient seulement là au moment des faits. Alors de là à dire qui a fait quoi, qui a écrasé sa cigarette, qui a forcé à faire divers actes (je passe le détail)…
Résultat : dix relaxes sur quatorze. A noter que le parquet dans ses réquisitions a souligné le manque de preuves ... Des gens qui comme vous et moi auraient pris leur fusil pour leur tirer dessus s’il s’agissait de leur sœur, ou d’eux-mêmes. 9 personnes, trois juges et six citoyens comme vous et moi. Croyez-vous qu’on peut leur reprocher, sans en connaître un seul, leur manque de compassion ?
Cependant je reste malgré tout surpris par les peines d’un an d’emprisonnement, et encore plus par la mention "coupable de viol en réunion, trois ans avec sursis". Si d’ici là on en reparle, on verra ce que dira la justice en appel.
Et vous, que diriez-vous ?