Du fait au droit, le poil du juriste et particulièrement de celui qui possède quelques notions de procédure pénale, se hérisse à cette nouvelle. Pourquoi ? On pourrait penser effectivement que ce n'est qu'une forme spéciale d'infiltration, mise en place par la loi dite Perben 2 du 9 mai 2004. Ainsi, le fait que ces policiers agissent de la sorte en provoquant les éléments les plus durs du cortège ne serait qu'une manière de les faire sortir de leurs gonds et de les identifier pour permettre une interpellation. Personne n'aime être en danger dans une manifestation, et de la sorte cela permettrait de circonscrire les dégâts collatéraux inévitables dans ces évènements.
Sauf qu'il paraîtrait que la France se soit doté d'un Code de procédure pénale, et que celui-ci ne serve pas qu'à poursuivre des infractions. Il semblerait que la France soit signataire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces textes, qui ne sont pas faits pour embêter le pouvoir exécutif et entraver la marche de la justice posent certains principes.
Celui qui attire notre attention concerne la recevabilité de certains moyens de preuve, en particulier celles obtenues grâce à une infiltration. Dans la partie la plus boursouflée de ce code, il est dit que seule la provocation à la preuve est admise. Celle-ci consiste pour l'infiltré à constater ou faire constater la commission ou la tentative de commission d'une infraction. En aucun cas les forces de l'ordre n'ont le droit de provoquer à l'infraction, c'est à dire de provoquer le passage à l'acte. La distinction est parfois difficile à faire en pratique mais en ce qui concerne nos policiers, c'est limpide. Il suffira de montrer les images de la manifestation prises par les gendarmes mobiles pour y voir ces agents de police provoquer les manifestants.
Pourquoi cette limite existe-t-elle ?
Pour protéger les libertés individuelles. Le mythe du bon et du méchant est malheureusement en train de s'enraciner dans l'imaginaire collectif. La limite entre le comportement normal et le comportement délictueux semble pour la plupart de l'opinion gouvernementale un fossé infranchissable pour les honnêtes gens. Pourtant, cette frontière est parfois plus mince qu'une feuille de papier, spécialement dans les mouvements de foule. On part du principe, si on cherche à justifier ces techniques policières, que ces gens ont été identifiés par cette méthode. Cela revient à considérer qu'ils auraient commis ces infractions de toute façon, et que la police n'a été que le révélateur et non le catalyseur des actes commis. Je dois avouer que j'envie de telles certitudes, et je me demande pourquoi il y a encore du crime en France puisque l'on sait qui va commettre des infractions à coup sûr. A ce sujet, je conseille l'excellent scénario (et moins bon film) de Minority Report, sur le déterminisme criminel.
Sans gloser davantage sur le retour aux idées criminologues du XIXème siècle, je me demande l'opportunité de telles techniques sur le plan pratique. En effet, une manifestation est aussi facile à embraser qu'une forêt du sud-est par temps sec et mistral puissant. Calmer le jeu relève de la même dynamique. De plus, jeter de l'huile sur le feu fait courir le risque de causer plus de dégâts que d'en prévenir. Or le but des forces de l'ordre, avant même de poursuivre les auteurs des infractions, est de préserver l'intégrité des personnes et des biens. Contre-emploi donc, que ces techniques "d'enquête".
Et puis, et c'est peut-être cela le plus grave, que sont ces méthodes de manipulation des foules pendant une manifestation symbolique, surmédiatisée ? Que faisons nous face à ce manque total de remords de la préfecture de police qui assume tout à fait ces agissements ?
Je suis peut-être le seul, mais ça me fait vraiment peur ...